|
à l'occasion de la création |
Création mondiale de City Life du compositeur Steve Reich à Metz
" L'Ensemble InterContemporain a réuni un large public dans la salle messine de l'Arsenal
Depuis qu'il a pris la tête de l'ensemble fondé par Pierre Boulez en 1976, le jeune chef américain David Robertson en a considérablement élargi le répertoire. Les musiciens parisiens jouent aujourd'hui Steve Reich. Après un concert à l'Arsenal de metz, l'Ensemble InterContemporain présentera City Life à Paris, à la Cité de la Musique. La nouvelle pièce de Reich accompagnera la création française de De Staat, du compositeur hollandais Louis Andriessen. Il y a des années que Steve Reich ne joue plus avec les processus sonores, les déphasages, la stricte répétition de cellules rythmiques et mélodiques typiques des œuvres de ses premières années. Mais le qualificatif de " musicien minimal et répétitif " lui colle à la peau.
Sa dernière pièce, City Life (Vie urbaine), créée à l'Arsenal de Metz, mardi 7 mars, contredit sans embage cette réputation. Depuis le début des années 80, Steve Reich a d'ailleurs élargi le souffle injecté à ses compositions. L'architecture se dessine plus clairement, le sens mélodique et harmonique s'affirme. Un seul fragment de Desert Music, grande fresque pour chœur et orchestre (1982-1984), comparé à quelques minutes de Music for 18 Musicians (1976), fait entendre quelle a été l'évolution du musicien américain au tournant des années 80.
City Life, commande conjointe de l'Ensemble InterContemporain, de l'Ensemble Moderm de Francfort et du London Sinfonietta, est une pièce de vingt-six minutes conçue pour un groupe instrumental très " reichien " : deux pianos, deux synthétiseurs, trois percussions accompagnés de six vents et d'un quatuor à cordes. A ceux-ci s'adjoint un dispositif électronique diffusant en temps réel des " objets trouvés " sonores aux couleurs urbaines (sifflets, sirènes, klaxons). Cette technique, développée à l'IRCAM, s'offre une souplesse incomparable aux instrumentistes et au chef, qui n'est plus lié au défilement implacable d'une bande magnétique.
City Life est bien dans la lignée d'une certaine tradition musicale américaine célébrant la ville. Déjà Charles Ives faisait sonner les composantes sonores de New York ou de l'Amérique profonde, comme Samuel Barber dans son Knoxville ou Gershwin dans un Américain à Paris. Les " objets trouvés " portés par Reich au sein de sa polyphonie sont d'une évocation poétique merveilleuse. Dans la quatrième partie de City Life, des battements de coeur se mçelent à des sirènes de bateaux : émotion de la séparation, pression des départs sans retour.
Il faut une oreille, un oeil et une âme d'enfant pour aimer Steve Reich. Il faut aimer le long lai des développements sans limites, les voyages en train aux paysages invariables, les grands tableaux de Twombly où de simples inscriptions griffonnées s'ouvrent sur un monde secret, infini et abyssal. Il faut aussi un ensemble qui aime profondément cette musique. Depuis l'arrivée, en 1992, de David Robertson à la tête de l'Ensemble InterContemporain, le répertoire du groupe fondé par Pierre Boulez s'est considérablement élargi. Robertson ne répugne pas à diriger par ailleurs Donizetti ou Lalo, mais on devine que la majorité de ses musiciens ne " sentent " pas la musique pulsée de Reich, comme ils ne sentaient pas - et le faisaient assez clairement voir sur leurs visages - la musique de John Adams, lors du concert monographique que consacrait le Festival d'automne au musicien américain, en 1993. Remarquables de précision et de lyrisme contenu dans le Concerto Dumbarton Oaks d'Igor Stravinski ou le Concerto pour violon de Kurt Weill (avec l'excellente Jeanne-Marie Conquer en soliste), programmés en première partie de City Life à Metz, sont loin d'atteindre l'éclectique liberté du London Sinfonietta qui joue tout, de Ferneyhough à Michael Torke, avec un enthousiasme communicatif. Restent aussi à régler les équilibres entre l'électronique et les sons instrumentaux et à trouver le swing nécessaire. A ces quelques conditions, les concerts de la Cité de la Musique, à Paris, seront véritablement enthousiasmants. "
Vendredi 10 mars 1995. Renaud Machard
à l'occasion de la sortie du premier enregistrement en CD |
Le cri de la pomme
---- ffff ----
" L'œuvre forte, très forte, de ce CD Reich est sans conteste City Life, qui date de 1995. Son urgence, sa gravité, sa puissance d'impact sur l'auditeur en font, à l'instar de Different Trains (1988), une étape musicale marquante de cette fin de millénaire. A 60 ans, le compositeur américain s'impose comme l'un des créateurs les plus représentatifs de son époque, une triste époque qui mérite cette musique brutale et terrible. Nombril du monde, la ville piège par excellence : New York. Les bruits quotidiens, si quotidiens qu'on ne les entend plus, comme des machines à enfoncer les pieux, des avertisseurs de bateaux, des sirènes de flics et de pompiers... Comme ceux des battements de coeur.
Contrairement à ce qui se passait dans Different Trains ou The Cave (1993), aucune bande n'est utilisée ici. Les sons préenregistrés sont joués en direct sur deux claviers à échantillons, d'où la souplesse accrue lors de leurs interventions.
Et puis des cris. Et puis l'horreur de l'attentat du World Trade Center. Tout se précipite. " C'est rempli d'fumée ", " Faites attention ", " Où vous allez ? ". Voix déformées, mutilées. Voici venu, pour Steve Reich, le temps de la compassion. (...) "
Télérama N°2452 - 8 janvier 1997 Xavier Lacavalerie
" A soixante ans, Steve Reich ouvre l'horizon du relatif systématisme de sa musique. Les patterns, les déphasages, les structures " tissées " laissent place progressivement à la mélodie, aux impuretés exogènes. New York la métisse est la base sonore de City Life, sublime pièce de vingt-trois minutes créée il y a un an par l'Ensemble InterContemporain, à l'Arsenal de Metz. Bruits de sirènes, de klaxons, de claquements de portes, bris et clameurs se mêlent à une riche et vibrante polyphonie qui ose les ruptures, les contrastes, les vrombissements d'une sirène de paquebot et des battements de coeur, ceux des " grands départs inassouvis " dont parle Jean de la Ville de Mirmont, le poète de L'Horizon chimérique de Gabriel Fauré. (...) "
Renaud Machard |
|