Le cri de la pomme
---- ffff ----
" L'œuvre
forte, très forte, de ce CD Reich est sans conteste
City Life, qui date de 1995.
Son urgence, sa gravité, sa puissance d'impact sur
l'auditeur en font, à l'instar de Different
Trains (1988), une étape musicale marquante de
cette fin de millénaire. A 60 ans, le compositeur américain
s'impose comme l'un des créateurs les plus représentatifs
de son époque, une triste époque qui mérite
cette musique brutale et terrible. Nombril du monde, la ville
piège par excellence : New York. Les bruits quotidiens,
si quotidiens qu'on ne les entend plus, comme des machines
à enfoncer les pieux, des avertisseurs de bateaux,
des sirènes de flics et de pompiers... Comme ceux des
battements de coeur.
Contrairement à ce qui se passait dans Different
Trains ou The Cave (1993),
aucune bande n'est utilisée ici. Les sons préenregistrés
sont joués en direct sur deux claviers à échantillons,
d'où la souplesse accrue lors de leurs interventions.
Et puis des cris. Et puis l'horreur de l'attentat du World
Trade Center. Tout se précipite. " C'est rempli
d'fumée ", " Faites attention ",
" Où vous allez ? ". Voix déformées,
mutilées. Voici venu, pour Steve Reich, le temps de
la compassion. Les oeuvres de Pérotin, de l'École
de Notre-Dame au XIIe siècle, ont inspiré Proverb,
l'une des pièces les plus claires, les plus dépouillées
de Reich. Par leurs savants entrelacs, les trois sopranos,
les deux ténors, les orgues électriques et les
vibraphones nous projettent hors du temps, hors de l'espace.
Une pause. Une oasis.
Nagoya Marimbas (1994)
procède de la répétition décalée
comme au bon vieux temps des " seventies ". Cette
pièce brève possède la grâce ludique
d'un menuet de Mozart... "
Télérama
N°2452 - 8 janvier 1997
Xavier Lacavalerie
" A soixante
ans, Steve Reich ouvre l'horizon du relatif systématisme
de sa musique. Les patterns, les déphasages,
les structures " tissées " laissent place
progressivement à la mélodie, aux impuretés
exogènes. New York la métisse est la base sonore
de City Life, sublime pièce
de vingt-trois minutes créée il y a un an par
l'Ensemble InterContemporain,
à l'Arsenal de Metz. Bruits de sirènes, de klaxons,
de claquements de portes, bris et clameurs se mêlent
à une riche et vibrante polyphonie qui ose les ruptures,
les contrastes, les vrombissements d'une sirène de
paquebot et des battements de coeur, ceux des " grands
départs inassouvis " dont parle Jean de la
Ville de Mirmont, le poète de L'Horizon chimérique
de Gabriel Fauré.
Proverb (1995-1996) associe
les sonorités typiques de Reich (orgues électriques,
percussions à clavier, voix " instrumentales ")
à un langage qui doit tout autant au canon médiéval
qu'au minimalisme.
Nagoya Marimbas (1994),
pour deux marimbas, réconciliera avec leur auteur fétiche
les partisans d'une orthodoxie minimaliste. Mais l'auteur
avoue lui-même ne pas répéter les motifs
plus de trois fois et les développer mélodiquement.
Idéale quadrature du cercle reichien en quelques quatre
minutes... "
Renaud Machard |