| " Music for Eighteen Musicians dure environ 55 minutes. Les premières esquisses datent de mai 1974 : l'œuvre fut achevée en mars 1976. Si sa pulsation stable et son énergie rythmique l'apparentent
à nombre de mes premières œuvres, son intrumentation,
son harmonie et sa structure sont nouvelles.
Son instrumentation est nouvelle par le nombre et par la distribution
des effectifs : violon, violoncelle, deux clarinettes jouant aussi
la clarinette basse, quatre voix de femme, quatre pianos, trois marimbas,
deux xylophones et un métallophone (vibraphone sans moteur).
Tous les instruments sont acoustiques : l'usage de l'électronique
est limité aux microphones pour la voix ainsi que pour certains
instruments.
Il y a plus de mouvement harmonique dans les cinq premières
minutes de Music for Eighteen Musicians que dans toutes mes
autres œuvres achevées jusqu'à ce jour (1976).
D'un point de vue rythmique, il y a dans Music for Eighteen Musicians
deux sortes de temps fondamentalement différents qui apparaissent
de manière simultanée. Le premier est cette pulsation
rythmique régulière des pianos et des percussions qui
traverse la pièce. Le second est le rythme de la respiration
humaine, aux voix et aux instruments à vent. L'ouverture et
la section conclusive, ainsi que tels passages des autres sections
intermédiaires, contiennent des pulsations sur certaines notes
qui doivent être tenues aussi longtemps que le confort de la
respiration le permet. La respiration est la mesure de la durée
de leur pulsation. Des respirations qui se succèdent comme
des vagues venant se briser contre le rythme immuable des pianos et
des instruments.
La structure de Music for Eighteen Musicians est fondée
sur un cycle de onze accords, joués au tout début de
la pièce et repris à la fin. Tous les instruments et
toutes les voix jouent ou chantent des notes pulsées au sein
de chaque accord. Des instruments comme les cordes, qui n'ont pas
à respirer, suivent néanmoins les systoles et diastoles
de la respiration, en se fondant sur le souffle de la clarinette basse.
Chaque accord est tenu pour une durée de deux respirations,
puis l'accord suivant est introduit graduellement. Et ainsi de suite,
jusqu'à ce que les onze accords soient joués, l'ensemble
revenant au premier accord.
C'est alors qu'une petite section se construit sur le premier accord
pulsé, tenu par deux pianos et deux marimbas pendant environ
cinq minutes. Après quoi un brusque changement amène
le second accord, qui lui-même donne lieu à une seconde
petite section. Si bien que chaque accord, joué pendant quinze
ou vingt secondes dans l'ouverture, est ensuite distendu de manière
à constituer la mélodie pulsée sur laquelle se
fonde une section de cinq minutes. De même, dans un organum
de Pérotin, au IIe siècle,
telle note du cantus firmus pouvait être étirée
ur plusieurs minutes, de manière à former le centre
harmonique de l'une des sections de l'œuvre. Le cycle initial des
onze accords de Music for Eighteen Musicians est une sorte
de cantus firmus pulsé pour toute la pièce.
Sur chaque accord pulsé, c'est donc une section qui se construit
(voire deux pour le troisième accord). Ces sections ont soit
la forme d'une arche (ABCDCBA), soit la forme d'un processus musical
qui se déploie du début à la fin (des battues
se substituant à des silences). Des éléments
qui apparaissent dans l'une des sections pourront réapparaître
dans une autre, mais entourés par une harmonie et une instrumentation
différentes. Par exemple, la pulsation des pianos et marimbas
dans les sections 1 et 2 passe aux marimbas et xylophones dans la
section 3A, puis aux xylophones dans la section 6, où elle
soutient une mélodie différente jouée par des
instruments différents. Le processus consistant à construire
un canon (c'est-à-dire une relation de phase) entre deux xylophones
et deux pianos, apparaît d'abord dans la section 2, ressurgit
ensuite dans la section 9, mais pour y culminer sur un autre motif
et dans un contexte harmonique différent. Les relations entre
les sections doivent donc être comprises en termes de ressemblances
entre les membres d'une famille. Certaines caractéristiques
seront partagées, d'autres seront uniques.
L'un des premiers vecteurs de changement ou de développement
dans nombre de sections de cette œuvre réside dans la relation
rythmique existant entre l'harmonie et la mélodie. Ainsi, un
motif mélodique peut-être répété
sans interruption ; mais en glissant sous cette mélodie une
cadence de deux ou quatre accords, et en faisant passer le début
de cette cadence de tel temps à tel autre de la mélodie,
on aura à l'écoute le sentiment d'un changement d'accent
dans la mélodie. Ce jeu avec un rythme harmonique changeant
par rapport à un motif mélodique constant est l'une
des techniques de base de cette œuvre.
Les changements d'une section à l'autre, ou au sein d'une même section, sont signalés par le métallophone ; ses
motifs, il ne les joue qu'une fois, afin de déclencher le mouvement
vers le mesure suivante. Comme lorsque, dans le gamelan balinais ou
dans la musique de l'Afrique occidentale, le premier percusssionniste
indique des changements de motifs. Les signes audibles deviennent
partie intégrante de la musique ".1976
" Lorsque
j'ai composé Music for 18 Musicians, entre le milieu de 1974
et le début de 1976, je l'ai écrit dans une sorte de notation musicale
abrégée directement dans mon carnet de musique. Étant donné que, à
l'époque, je répétais avec mon ensemble plusieurs fois par mois, j'ai
rédigé par la suite les parties destinées à chaque intrumentiste - aussi
dans une sorte de notation abrégée. Cela a eu pour résultat que, au
moment de la création mondiale à New York, en avril 1976, il n'existait
pas de partition complète du morceau et les parties des différents
musiciens étaient si caractéristiques que seuls les membres de mon
ensemble pouvaient les comprendre. En conséquence, à quelques exceptions
près (et elles ont été peu communes), personne n'a interprété Music
for 18 Musicians, à part mon propre ensemble, entre 1976 et 1996.
Finalement, mon éditeur, Boosey & Hawkes, a engagé un jeune étudiant de troisième cycle de
Cornell University, Marc Mellits, qui écrivait une thèse sur Music
for 18 Musicians, pour rédiger une partition complète et les différentes
parties instrumentales, au moyen d'un ordinateur comprenant un excellent
logiciel de notation musicale. Il a terminé son travail juste à temps
pour que l'Ensemble Modern
soit le premier ensemble, en dehors du mien, à interpréter et enregistrer
le morceau. Ce qu'il a fait à la perfection.
J'ai la chance de travailler avec l'Ensemble Modern depuis 1995, année où il a créé mon morceau intitulé City Life
et où j'ai pris place, en invité, au milieu de ses percussionnistes,
pour interpréter Drumming-Part One. Plus tard, en 1997, là encore
en invité, j'ai interprété Music for 18 Musicians avec cet
ensemble, mais je n'ai pas pu participer à l'enregistrement à cause
de problèmes de contrats.
Je prends beaucoup de plaisir à collaborer avec les membres de l'Ensemble
Modern et à être en leur compagnie. Ils représentent un nouveau genre
de musiciens : des instrumentistes qui ont acquis une superbe
formation dans un conservatoire et qui connaissent aussi la musique
non-occidentale, le jazz, le rock and roll, la techno, et savent se
servir de toutes sortes de matériel électronique. Les membres de l'Ensemble
Modern ont aussi parmi eux, en permanence, un excellent ingénieur
du son. Ils jouent et enregistrent de la musique dans des styles qui
vont de celui de Schoenberg au mien, et ce d'une manière caractéristique
parfaitement adaptée à chacun de ces styles. L'Ensemble Modern, et
d'autres ensembles comme lui, représentent l'orchestre de la fin du
vingtième et du début du vingt et unième siècle. mai 1998
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